c'est le titre du livre de Bernard Thibault
cet article est tiré du blog
Bernard Thibault et Dominique Méda invités à l'émission Agora du 1er mai sur France Inter
Bernard Thibault, c’est celui qui dit très justement que le travail n’est pas un marché. Il a été secrétaire général de la CGT de 1999 à 2013, à Genève, il est membre depuis 2014 du conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT). Bernard Thibault publie « La Troisième Guerre mondiale est sociale » aux Éditions de l’Atelier. Il explique pourquoi, selon lui, la loi El Khomri envoie un mauvais signe aux pays moins avancés.
Après l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, la France s’apprête à réformer sa législation sur le travail avec la loi El Khomri. Dans une économie capitaliste mondialisée, Bernard Thibault considère que le corps social est très demandeur d’une harmonisation sociale ! À condition qu’elle vise le haut…
C’est en Europe que les droits sociaux sont les plus élaborés, grâce à de riches histoires sociales, de puissants combats syndicaux. Mais les réformes actuellement menées en France, Italie, Espagne, Allemagne tirent les droits sociaux vers le bas. Or la France, comme d’autres pays européens, sans être un modèle, est une référence. Elle a signé 128 conventions de l’OIT, un nombre qui fait d’elle le deuxième État du monde en la matière. Dès que les pays les plus avancés s’engagent dans un mouvement de renoncement, ils envoient un mauvais signe à ceux qui luttent pour plus de droits sociaux. Ce qui compte, c’est le mouvement.
Selon le patronat français, ces conventions internationales sont autant de contraintes pour les entreprises, qui ont peur d’embaucher. D’où le fort taux de chômage… Bernard Thibault réfute totalement le lien de cause à effet entre le niveau de protection du droit du travail, sa qualité et le niveau de chômage.
C’est en Afrique et en Asie, là où les législations sociales sont les plus faibles, que le travail informel est le plus important. Dans le monde, un travailleur sur deux n’a pas de contrat de travail, c’est-à-dire ni horaires, ni règles sur son salaire ! Cette proportion de travailleurs informels progresse. On peut toujours présenter les Européens comme une minorité, des privilégiés qui devraient renoncer, mais que veut-on pour l’avenir ? Une économie dérégulée ? Ou un mouvement, incarné par l’OIT, qui considère que le travail n’est pas un marché et que la paix est assurée par la promotion des droits sociaux ? L’approche patronale est fausse : en réalité, il faut remettre de la régulation là où elle n’existe pas.
Dans son livre, Bernard Thibault dit que les nouvelles dispositions sur les licenciements économiques pourraient être contraires à la convention 158 de l’OIT, ratifiée par la France. Car c’est cette convention 158 que Pierre Gattaz voulait que la France dénonce ! Pourtant, vu de France, elle est minimaliste : elle se contente d’imposer un motif au licenciement. Le gouvernement français ne peut pas la dénoncer, aucun pays ne retire sa signature. Il a donc choisi une approche plus pragmatique : redéfinir ce que seraient des conditions juridiquement acceptables pour que le licenciement ne soit plus attaquable. Le juge pourra toujours examiner le bien-fondé d’un licenciement, regarder si l’entreprise est dans une situation qui justifie des licenciements économiques. N’oublions pas qu’il existe des structures juridiques et fiscales dont la seule vocation est de protéger les propriétaires d’entreprises… Attendons de voir la version finale du texte pour savoir s’il est conforme à la convention 158. Il peut encore changer, puisque le Parlement va intervenir et que des mobilisations en demandent le retrait.
Sur le fond, il faudrait reconnaître que la gestion des entreprises ne peut pas être du domaine exclusif des gestionnaires. Elle concerne aussi les salariés, qui sont les premiers à être attachés à leur entreprise. Si on les écoutait un peu plus, on éviterait des mauvaises gestions et des pertes d’emplois. C’est justement ce que fait la loi El Khomri, en donnant plus de pouvoirs aux accords d’entreprise. Une bonne idée ? Renforcer la négociation en entreprise se heurte, en France, à la réalité : le taux de syndicalisation est faible, 75 % des entreprises de plus de dix salariés n’ont pas de présence syndicale. Et quand elles ont des élus, ils n’ont pas d’étiquette syndicale. Sans syndicat, le dialogue ne se fait pas entre deux parties égales. La France se caractérise aussi par un taux très élevé de couverture par les conventions collectives, de l’ordre de 98 % des salariés. Cela vient de la hiérarchie des normes, avec des accords de branche qui s’imposent aux accords d’entreprise.
Privilégier l’entreprise au détriment de la branche est dangereux.
Cela aura des effets pervers : les clauses sociales deviendront une variable de compétitivité au sein d’une même branche. De plus, la décentralisation de la négociation peut être néfaste sur les droits sociaux. En Allemagne, pour contrer les lois Hartz sur la décentralisation de la négociation, des milliers de salariés allemands ont été exclus des branches, donc des négociations sur les salaires. L’Allemagne a dû instaurer un salaire minimum.
Ses solutions pour faire baisser le chômage en France : la semaine de 32 heures, comme le propose la CGT, car avoir des réflexions sur le temps de travail n’est pas stupide, même dans les pays où les droits sociaux sont avancés. Mais une approche européenne serait sans doute meilleure. Par ailleurs, la France est un des pays dans lequel les entreprises ont versé le plus de dividendes à leurs actionnaires. Pourquoi les actionnaires français touchent-ils beaucoup plus que les actionnaires allemands ? Ce qui explique l’avance des entreprises allemandes, c’est le niveau de leur réinvestissement dans l’appareil productif.
Les perspectives d’emploi des prochaines années sont négatives à l’échelle mondiale, a prévenu l’OIT, qui préconise de mettre en place davantage de protections, car une nouvelle secousse se prépare. Depuis quelques années, on a donné plus de pouvoir au G20 en laissant une petite coalition de pays puissants prendre le pas sur une approche universelle, multinationale, portée par des institutions comme l’ONU. Il faut rendre à l’OIT sa mission originelle. C’est pourquoi Bernard Thibault prône, dans son livre, un retour à la déclaration de Philadelphie, adoptée par l’OIT en 1944, qui affirme la primauté des aspects humains et sociaux sur les considérations économiques et financières. Il y a un fossé entre ce principe et la réalité économique internationale. Une vision d’un monde en « guerre sociale », il y a quelques jours Bernard Thibault a participé à un débat « passionné et passionnant » sur le Qatar. On le sent à la lecture de son livre : l’ancien leader de la CGT trouve une forme d’aboutissement d’une vie de syndicalisme dans ses nouvelles fonctions, bénévoles et pour trois ans, à l’OIT, à Genève.
« La Troisième Guerre mondiale est sociale » est avant tout un ouvrage truffé d’informations, parfois très récentes, sur l’état social du monde et le rôle d’une institution qui fêtera ses cent ans en 2019. Mais c’est évidemment un livre militant, qui dénonce une "guerre sociale", mondiale, conséquence de la guerre économique.
Le coupable ? « Le marché tout-puissant, qui impose sa loi. »
On y découvre une organisation lourde, que Bernard Thibault aimerait voir retrouver une influence. On y apprend la lutte du collège patronal pour faire disparaître le droit de grève d’une des conventions de l’OIT. « Tous les employeurs de la planète ne se retrouvent pas dans cette approche rétrograde », écrit Bernard Thibault, étonnamment équilibré. Ce qui ne l’empêche pas de pointer l’aspect rétrograde, antisocial et réactionnaire du Medef. …
« La Troisième Guerre mondiale est sociale », Bernard Thibault, Éditions de l’Atelier, 15 euros.