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15 novembre 2018 4 15 /11 /novembre /2018 10:43

Chère essence…,

Jean-Marie Harribey, blog alternatives économiques

J’ai longtemps hésité à m’adresser à toi pour te faire part de mon embarras, de mon inquiétude, et aussi, je te l’avoue, de mon malaise devant l’agitation et la colère qui sourdent dans la société à ton sujet. Si je m’y résous aujourd’hui, c’est parce que la lettre que j’avais écrite à ton père, le pétrole[1], il y a juste dix ans, et dont je te joins une copie, est restée lettre morte. Il est vrai que je l’avais lancée à la mer dans un baril vide à la dérive, espérant qu’elle finirait bien par échouer aux pieds de quelque gouvernant plus éclairé que la moyenne, par exemple par cette fée nucléaire, ta concurrente mais, nous dit-on, ô combien salutaire.  

Las ! Il ne se passa rien. Depuis ce moment, dix nouvelles COP se sont succédé, avec, parmi elles, un tapage aussi tonitruant que sans lendemain lors de la vingt-et-unième. Sans doute, tu concentres en toi nombre de problèmes et tu révèles les contradictions qui fracassent nos sociétés minées par le productivisme d’un capitalisme dont l’unique boussole est le profit pour l’accumulation infinie du capital.

Le fait que tu sois aussi inflammable et explosive explique grandement que, périodiquement, bonnets rouges et gilets jaunes descendent dans la rue parce qu’ils sont pris à la gorge par l’envolée de ton prix à la pompe. Mais la défense de leurs couleurs se fait, pour le coup, au prix d’un embrouillamini social et politique magistral. De bonnets rouges en gilets jaunes, enfle une colère noire. Je t’écris pour conjurer le risque qu’elle ne vire au brun.

Je voudrais te dire que tu es injustement accusée de flamber. Tu es d’abord victime du parcours chaotique de ton père, ce pétrole aux mains souvent de monarchies corrompues et toujours de multinationales sans foi ni loi, qui spéculent, un jour sur sa raréfaction, un autre sur son abondance parce qu’elles vont le forer jusque dans les cailloux et les sables de schiste.

Tu es également victime de la myopie qui handicape nos concitoyens à qui on ne dit jamais que ton prix est aujourd’hui légèrement inférieur à celui de 2012, quand le baril de ton père valait 1,50 dollar, avant d’être divisé trois ans après par presque 4. Et si on te compare au pouvoir d’achat d’un SMIC, on s’aperçoit que, il y a 45 ans, c’est-à-dire lors de la première crise dite du pétrole en 1973, une heure de SMIC pouvait acheter 3 litres de toi, et, en 2018, elle en achète 6, bien que le prix du pétrole ait de nouveau doublé depuis un an. On devrait aussi méditer sur un élément positif et un élément négatif : un litre de toi permet de faire plus de kilomètres qu’autrefois grâce à des moteurs plus économes, mais un litre qui est gaspillé dans des embouteillages inextricables dans toutes les agglomérations et sur toutes les rocades, ces rubans colorés où tout le spectre de l’arc en ciel se mélange autour du rouge, du jaune et même de l’orange, ces couleurs si chaudes et saillantes…

Enfin, et c’est certainement le plus important, la politique du gouvernement, qui va de dégradation des services publics en destruction des droits sociaux, est aussi cynique qu’absurde et cela pour au moins trois raisons. La première est que sa politique fiscale est outrageusement injuste : il a diminué les impôts progressifs des riches et des entreprises, il a supprimé l’impôt sur la fortune, il a transformé le CICE (totalement inefficace pour l’emploi mais très efficace pour rétablir les marges des entreprises, 20 milliards par an, ce n’est pas rien) en un allègement des cotisations sociales des entreprises, en « même temps » qu’il augmentait la CSG et qu’il organisait l’appauvrissement des collectivités territoriales pourvoyeuses de services publics en prévoyant de supprimer la taxe d’habitation.

La deuxième facette de l’injustice et de l’absurdité de la politique gouvernementale concerne l’absence totale d’actions en faveur d’une transition énergétique et écologique pour commencer une transformation des systèmes de transport et pour se diriger vers des énergies renouvelables. Les investissements publics diminuent d’année en année, pendant que le système ferroviaire se déteriore, et les investissements privés ne sont décidés qu’en fonction de normes financières. Il s’ensuit que, sans accompagnement ni social, ni en termes de nouvelles infrastructures, les personnes les plus pauvres se trouvent à gérer un budget contraint par la remontée depuis trois ans du cours du pétrole.

La troisième raison de l’injustice et de l’absurdité de la situation tient à l’aveuglement d’un certain raisonnement économique qui voit dans le prix l’unique moyen de modifier les comportements. Tu me pardonneras, chère essence, de te communiquer un raisonnement compliqué que l’on enseigne à des étudiants en économie qui viennent plus souvent à l’Université en voiture qu’en vélo : imagine-toi un élastique dont la souplesse (la capacité de s’étirer) est plus ou moins grande, tu sais, un de ces élastiques qu’on fabrique en utilisant certaines propriétés de ton père. Bon, si tu vois, c’est gagné : en faisant varier ton prix à la hausse, on espère que la demande qui se portera sur toi diminuera. Cela se vérifiera-t-il ? Oui, si l’élasticité de la demande par rapport au prix est forte, non dans le cas contraire. Or, je te disais à l’instant que la dépense de transport était contrainte à cause du manque d’infrastructures de transport de substitution, l’élasticité de la demande par rapport à ton prix est donc assez faible. Agir par le seul levier du prix sera inefficace.

Aussi, les trois raisons de l’injustice et de l’absurdité ambiantes se conjuguent pour faire éclater au grand jour les contradictions sociales, économiques et écologiques réunies. La colère sociale explose parce que trop, c’est trop. La hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), indispensable sur le long terme, intervient dans le contexte de la politique fiscale à rebours. L’affaire n’est pas anodine car les taxes environnementales représentent en France 63 milliards d’euros en 2018, dont 47 milliards provenant des taxations sur les consommations énergétiques, parmi lesquelles 24 milliards de TICPE. La loi de finances pour 2019 a prévu 5,1 milliards de taxes environnementales supplémentaires, dont près de 4 milliards de TICPE.

Je t’assure, ma chère essence, de ma compassion. Je souhaiterais tant que la société te conserve, avec attention et précaution. Avec attention parce que tu es précieuse, ton usage est si commode, tu démarres au quart de tour, tu es tellement efficace, ton rendement surpasse celui de bon nombre de tes concurrents. Avec précaution parce que lorsque tu te consumes, tu pars en émission de carbone et ça c’est très mal pour nous, pour nos descendants et pour la planète. Je t’entends réagir et me dire que cela est bien connu de nous et que la responsabilité des inconvénients nous incombe donc. Tu as parfaitement raison, mais, vois-tu, devant cette responsabilité qui nous effraie, tu sers de bouc émissaire.

Tu es tellement au centre des préoccupations du moment que, d’un côté, tu es saisie par les forces réactionnaires pour délégitimer un peu plus l’impôt, et, de l’autre tu mets dans un imbroglio politique et stratégique ceux qui, à gauche, prétendent défendre les intérêts des pauvres et des exploités. Tu as peut-entendu comme moi tel responsable politique progressiste déclarer qu’« il ne fallait pas se pincer le nez devant la colère populaire ». Il vaut mieux en effet ouvrir les yeux que de se pincer le nez. Il ne t’a pas échappé non plus qu’une association amie a publié un communiqué disant que la taxe sur les carburants servait à « boucher les trous du budget de l’État ». Bien sûr, il n’en est rien, car c’est confondre le comblement du déficit public – qui se fait, par définition, hors impôt (sinon, il n’y aurait pas de déficit) – avec une mauvaise affectation du produit de l’impôt, puisque seuls 7,2 milliards seront destinés à financer la transition écologique en 2019.

Chère essence, la question de ton prix nous met en face de la contradiction insurmontée jusqu’ici entre la soutenabilité sociale et la soutenabilité écologique. Contradiction qui n’est pas intrinsèque au social ni à l’écologie, ni à leur rencontre, mais qui est engendrée par la logique d’accumulation du capital : d’un côté, celle-ci pressure toujours davantage le travail et donc les couches populaires ; de l’autre elle (é)puise sans retenue la nature.

En attendant la remise en cause de cette logique, la colère populaire gronde. Elle est compréhensible. Est-elle légitime ? Si elle est l’occasion d’aller à la racine des choses, oui. Si les forces conservatrices et réactionnaires prennent le dessus et agrègent ceux qui n’ont strictement rien à faire ni des pauvres ni de l’écologie, un pas de plus sera fait pour délégitimer l’impôt, la régulation par l’État et, au-delà, un coup de canif de plus sera donné au contrat social qui lie les citoyens de notre pays, ceux d’ailleurs et ceux de demain.

Parmi toutes tes qualités, chère essence, il en est une dont on ne parle pas beaucoup : tu as un pouvoir de dissolution de certaines matières. Par ton intermédiaire, ceux qui ont intérêt à la désagrégation de la démocratie en profitent pour gloser sur la dissolution du clivage gauche/droite et, par delà, de l’opposition travail/capital. Les réseaux dits sociaux sont bien commodes : chacun dans son coin peut être à l’origine d’une initiative qui n’est souvent qu’un feu de paille mais qui embrase tout, surtout si tu te trouves en jeu, et le mariage de la carpe et du lapin est célébré. Pendant ce temps, les collectifs disparaissent, les syndicats se terrent et les médias découvrent la lune : les pauvres s’appauvrissent. 

Chère essence, je ne te souhaite qu’une chose : que ton prix augmente beaucoup. Dans ce monde vénal, les gens ne respectent que ce qui « a un prix ». Or, je te le disais plus haut, comme tu es précieuse, autant ne pas te gaspiller, t’économiser pour les urgences. Le 17 novembre prochain, combien de bannières dorées et de parkas amarillos se revendiqueront de toi à vil prix ! Je te promets de crier dans le désert que, à force de t’user, on risque d’abuser les citoyens en leur faisant croire que baisser ton prix les sauvera de la catastrophe. Il est essentiel d’accompagner ton prix d’un changement de la façon de (nous) conduire.

Jean-Marie Harribey 15 novembre 2018

 

Cher pétrole…,

Cher pétrole, je me décide à t’écrire parce que le monde s’inquiète pour toi, ou pour lui-même. Tu sais combien nous te chérissons, et notre amour grandit avec ton prix. Plus tu es cher, plus tu nous es cher. Tes brusques accès de fièvre et tes envolées vers les sommets sont autant de piqûres de rappel : notre fidélité est à toute épreuve et l’addiction est telle que nous avons placé en toi l’essence de notre bien-être matériel. Cent cinquante ans de bonheur et de passion charnelle, puisque tout ce que nous mangeons, transportons et chauffons contient ton précieux liquide.

Et bonne pâte avec ça. On fore et tu te laisses approcher ; on pompe et tu jaillis ; on te canalise et tu irrigues la terre entière. A contrario, tu manies le paradoxe : tu as mis des centaines de millions d’années à te fossiliser et tu te consumes en un rien de temps, aussi vite que ton cousin le gaz. Tu aurais pu nous prévenir car jamais nous n’aurions supposé un tel décalage. Les experts ès combustibles fossiles nous assuraient que plus on épuisait un gisement, plus on avait intérêt à exploiter le suivant, ce qui aurait valu un « prix Nobel » d’économie aux soldats de La Palice. Il y avait bien eu les avertissements du géologue américain King Hubbert qui, dans les années 1950, avait prédit la diminution de la production pétrolière américaine. Mais personne ne l’avait cru et, aujourd’hui, nous approchons du pic de la production mondiale : celle-ci ne pourra ensuite que décliner.

Cher pétrole, nous sommes plongés dans l’embarras. On a libéré les marchés financiers et les spéculateurs ont compris le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de la certitude de ta disparition prochaine : en achetant aujourd’hui les barils de demain, ils font leur miel de ta coulée. Mais tu es bien protégé : toutes les armées du globe sont à tes pieds pour garantir ton bon écoulement, au cas où un dictateur, car ce ne pourrait être qu’un dictateur, voudrait te nationaliser, un projet absurde pour toi qui appartiens au monde entier.

On a construit des autoroutes partout et l’idée de faire rouler des camions dessus est venue spontanément : en effet, pourquoi laisser fondre au soleil le goudron, c’est-à-dire un peu de toi-même, sans user en même temps la gomme des pneus, dans lesquels il doit bien y avoir aussi quelques-unes de tes molécules ? Les camionneurs, les pêcheurs et les agriculteurs sont pendus au-dessus d’un brasero alimenté par toi, avec une corde tressée par les actionnaires des « majors », ces multinationales dont le métier est d’inciter à te consommer le plus vite possible. Les Etats ont longtemps fermé les yeux car les taxes sur les carburants rentraient dans les caisses que l’on vidait par ailleurs au nom du « moins d’impôt progressif ». Et ils se sont jusqu’ici abstenus de mettre en œuvre des énergies renouvelables. Taxer l’utilisation du pétrole, c’est plus facile que de taxer celle du soleil.

En l’absence d’alternatives proches, toutes les solutions d’urgence sont mauvaises. Laisser monter ton prix, c’est étrangler les petits producteurs, les salariés payés une misère et qui doivent rouler pour aller travailler ; en revanche, c’est une aubaine pour Shell, Exxon-Mobil, BP, Chevron-Texaco, Total, etc. Baisser ton prix, c’est encourager le gaspillage et abandonner tout espoir de limiter les émissions de gaz à effet de serre. D’autant que le doublement, en l’espace d’un an, du prix du baril exprimé en dollars courants est trompeur. Exprimé en euros, il n’augmente que des deux tiers. Et exprimé en dollars constants, il est aujourd’hui au même niveau que dans les années 1860. Certes, entre temps, il avait durablement été divisé par dix. Rapporté au SMIC, le prix du litre d’essence a diminué d’un tiers depuis 1973, mais doublé depuis son point le plus bas en 1998, ce qui déstructure le budget des pauvres. Enfin, sur le long terme, nous ne te payons pas davantage qu’à l’époque où l’on a commencé à s’enivrer de toi. A cause de ton épuisement progressif, il faut s’attendre à devoir te payer réellement beaucoup plus cher, bien que des apprentis sorciers parient sur la fonte des glaces polaires et du permafrost pour amorcer une nouvelle ruée.

Les pays qui s’imaginent vivre sur un pactole ne savent pas qu’aucune économie rentière n’est durable. Le Président Chavez s’en apercevra un jour, espérons avant qu’il ne soit trop tard. Quant à ton remplacement par des agrocarburants, il n’y a plus que le Président Lula pour y voir l’avenir des sans terre.

Cher pétrole, nous nous étions abandonnés à toi et tu es sur le point de nous quitter. Désemparé, je renonce à t’envoyer cette lettre par la poste qui est devenue une banque proposant des placements sur des valeurs sûres, toi peut-être encore pendant un temps. Je préfère la jeter à la mer. Je trouverai certainement un baril vide pour la glisser dedans. Et puis, hop, à la mer, cette mer qui déjà te recueille si bien quand un pétrolier fait naufrage.

Jean-Marie Harribey, 12 juin 2008

https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey/2018/11/15/chere-essence

 

 

 

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