La Grèce n’en finit pas de sombrer. Les plans s’enchaînent et les sommes versées pour le « sauvetage » de la Grèce permettent utilement de « sauver » les plus-values de ses créanciers. Pendant ce temps, le pays s’enfonce dans la récession à mesure que lui sont imposées des coupes violentes dans les salaires, les allocations sociales, les retraites, que les services publics sont privatisés et que le droit du travail est laminé.
L’accord obtenu au matin du 21 février représente à ce titre une nouvelle étape dans cette purge absurde, promue par le FMI, la Banque Centrale Européenne, la Commission européenne avec la bénédiction des États membres de l’UE. Comme un symbole, cet accord est signé au moment où le Mécanisme européen de stabilité (MES) est soumis au vote de l’Assemblée nationale.
La situation actuelle de la Grèce témoigne de l’efficacité future du MES.
Le MES a en effet pour vocation de généraliser les méthodes employées par la Troïka (BCE, FMI et Union européenne) dans ces pays… avec les résultats que l’on sait. Ce mécanisme prolonge en effet le Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui a permis de mettre en œuvre les différents « sauvetages » européens.
Ce fonds avait été mis en place en urgence : devant le risque d’un défaut de la Grèce, c’est-à-dire d’une cessation brutale du paiement, les membres de la zone euro s’étaient accordés à contrevenir à l’interdiction par le Traité de Lisbonne de « solidarité financière » entre États européens.
Il ne s’agissait pourtant pas d’une « solidarité » désintéressée : Les plans de « sauvetage » successifs ont en effet permis de recapitaliser les banques nationales, et de racheter des volumes importants d’obligations aux créanciers des pays en difficulté, évitant ainsi de lourdes pertes aux banques européennes (comme nous l’avions déjà indiqué... En 2010 !). Comme son prédécesseur, le MES participera d’une double escroquerie :
D’une part, la socialisation des pertes des spéculateurs et des banques, le coût des « sauvetages » étant pris en charge par les peuples européens. Le coût des « sauvetages » repose en effet sur les fonds fournis par les États, ainsi que sur leurs garanties vis-à-vis des marchés financiers. Les interventions du MES seront ainsi conditionnées à la mise en place de mesures d’austérité généralisées telles que celles qui ont déjà laminé l’économie grecque. Tant pour les « bénéficiaires » des « sauvetages »... que pour les membres du MES !
D’autre part, alors même que les peuples sont appelés à payer les ardoises des différents « sauvetages », les interventions du MES seront l’occasion pour les banques de se rémunérer grassement (en empruntant à taux préférentiel auprès de la BCE puis en prêtant au MES).
Le MES ne résout en rien le vice de fabrication de la zone euro : sa dépendance à l’égard des marchés financiers, conséquence logique de l’interdiction à la BCE de prêter aux États. Une intervention directe de la BCE permettrait pourtant un véritable sauvetage des États en difficulté : en dissuadant les spéculateurs d’une part, et en sortant les économies en crise de l’asphyxie par de massifs investissements publics.
Cela supposerait bien sûr de rompre avec la doxa néolibérale selon laquelle le financement des États doit nécessairement passer par les marchés financiers. A cette solution de bon sens, le MES substitue une véritable machine à couler l’Europe, par une volonté délibérée de prolonger (encore combien de temps ?) la durée de vie d’un système qui a déjà fait faillite.
D’une certaine manière, le MES fait ce que la BCE devrait faire. Mais au lieu de monétiser l’aide financière, le MES puise dans les ressources de ses membres. La France s’engage ainsi à fournir jusqu’à 142 milliards d’euros, soit plus de la moitié du budget de l’Etat, pour assurer les plus-values des créanciers.
Les membres du MES seront par ailleurs sous la pression d’une dégradation de la note du MES. Pour ces deux raisons, ils seront eux-mêmes amenés à mener de sévères politiques d’austérité, en lien avec le Pacte budgétaire (qui reprend tous les éléments du paquet de directives européennes sur la nouvelle gouvernance économique).
Le MES s’apprête ainsi à plonger, par entraînement, l’Europe toute entière au fond du gouffre, en généralisant un cercle destructeurs de politiques d’austérité destructrices et de récession généralisées. Le MES représente en outre une catastrophe démocratique. Il est en effet bâti comme un FMI européen, qui ne rendrait de compte à aucun peuple, aucun parlement, aucun tribunal, seulement à un Conseil de « gouverneurs » représentant ses « actionnaires » (cad les Etats membres, à hauteur de leur contribution). Et avec à sa tête, un « Directeur général ».
Cette institution qui est donc à l’image sans doute de l’Europe de Sarkozy et Merkel, foulant au pied la démocratie, et les peuples. Le MES, avec le Pacte budgétaire, parfait la mécanique technocratique, antidémocratique et antisociale mise en place pour sauver les intérêts des plus riches et des banques. Or c’est ce « sauvetage » permanent, « impérieux » comme dirait le directeur du Monde, qui entraîne les pays européens dans une surenchère de casse sociale et démocratique.
Deux perspectives s’offrent donc bien à nous : « le soulèvement ou la table rase par l’effondrement financier » [1]. En espérant que les mouvements sociaux qui se lèvent en Europe, à mesure que grandit l’indignation populaire, sauront faire pencher la balance en faveur de la première.
Frédéric Lemaire